Trou de la sécu, retraites en danger : mythes & réalités

Publié le par le desobeissant

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La présentation faite par les médias d’un certain nombre de problèmes économiques fait passer au second plan l’enjeu de société qui se cache derrière, pour nous présenter un bête exercice arithmétique où il suffirait de tirer sur un chiffre (voire de mettre ça dans un tableau excel pour ceux que ça amuse) pour voir comment cela évolue. C’est faire preuve d’une bien grande paresse (doublée souvent d’une grande ignorance) que de procéder de la sorte, avec pour conséquence immédiate de confisquer le débat (...)

 

La présentation faite par les médias d’un certain nombre de problèmes économiques fait passer au second plan l’enjeu de société qui se cache derrière, pour nous présenter un bête exercice arithmétique où il suffirait de tirer sur un chiffre (voire de mettre ça dans un tableau excel pour ceux que ça amuse) pour voir comment cela évolue. C’est faire preuve d’une bien grande paresse (doublée souvent d’une grande ignorance) que de procéder de la sorte, avec pour conséquence immédiate de confisquer le débat, et ce au détriment du peuple qui a le droit de comprendre les enjeux de telles questions, mais avec aussi pour conséquence de cliver encore un peu plus les partisans des thèses de « gauche » et ceux des thèses de « droite », et donc de caricaturer ces questions. Faut-il nécessairement diviser pour régner ?

Partie I - Le mythe du trou de la sécu

A mon sens s’il est une idée reçue parfaitement ancrée dans la tête du français, c’est bien celui du trou de la sécu. Je tire d’ailleurs mon chapeau à celui qui a trouvé cette formule coup de poing qui associe à un problème maintes fois évoqué un trou et un “cul”, message subliminal s’il en est.

Au-delà de cette formule d’un goût certain, j’ai tendance à penser que le trou en lui-même ne veut pas dire grand chose (encore moins que le déficit, des fois entendu mais combien moins percutant).

En effet, peut-on parler de trou (ou de déficit) à propos d’un service public qui ne fixe ni ses recettes, ni ses dépenses ?
Je pense donc que le terme de besoin de financement est plus approprié.

Or, les dépenses liées à la santé augmentent beaucoup plus vite que le PIB depuis plus de 20 ans (+2% au-dessus de la croissance depuis 40 ans, (source : Eco-santé OCDE 2003, DREES et Rapport du Haut Conseil sur l ’Assurance Maladie 2004), avec environ 9% début des années 2000 du PIB investi dans les dépenses de santé, ce qui est dans la moyenne des pays industrialisés, plus faible d’ailleurs que dans des pays comme l’Allemagne ou les Etats-Unis, où les dépenses de santé dépassent les 10% !).

Ceci est principalement structurel, et lié à la démographie, et non pas aux "dérives" des comptes comme on le sous entend souvent. Il faut d’ailleurs savoir que la France rembourse très mal les frais de santé, 17ème rang parmi les pays industrialisés (source : Etude OCDE 2004), c’est pas glorieux.

La question qui se pose alors est : comment financer ?

Les problèmes sont multiples.
a) On voit que le financement repose à 75% sur les actifs (le travail). Est-ce normal quand en 20 ans, quelques % de PIB ont “glissé” du travail vers le capital (article intéressant sur le sujet :
http://blog.mondediplo.net/2009-02-25-Le-paradoxe-de-la-part-salariale ).

b) L’état "joue" avec la sécu

Dans le rapport 2002 de la cour des comptes, on voit que la perte de recettes pour le régime général est de 10 milliards d’euros par an, ceci étant dû à une minoration d’assiette

Dans le même rapport, on dénombre plus de 30 mesures d’exonérations de cotisations sociales, soit 20 milliards d’euros par an (or nous sommes bien dans un problème de financement)

Dans le Rapport du haut conseil pour l’avenir de l’assurance maladie, on constate que l’état “doit” plus de 5 milliards d’euros à la sécurité sociale (exonérations non reversées, affectation à la sécurité sociale de ressources qui ne la concernent pas, financement de certaines politiques sur le budget considéré, etc.)

On pourrait aussi comptabiliser les recettes diverses non versées ’aux comptes de la sécu’ (taxes tabac, alcool, alors qu’on a bien créé ces taxes au nom du “prix” à débourser pour soigner ces malades), les avances de prestations diverses, voire les dégâts de campagnes récentes (remember H1N1), etc.

Enfin, comment ne pas évoquer le jour lundi de la pentecôte travaillé pour financer l’aide aux personnes âgées, sur fond de mauvaise conscience organisée .....

La conclusion s’impose d’elle-même, l’état utilise la sécu comme variable d’ajustement de ses comptes.

Comment alors ne pas considérer que ce trou n’est qu’un mythe.

Après le comment du financement, le pourquoi ! Et c’est ici que se tient le débat de société : solidaire ou pas ?

C’est ce choix de société qui est en balance.

Petit indice : en général, on répond souvent à la question de la solidarité par “quel intérêt ?” quand on est en bonne santé.

Lire aussi : Le mythe du "trou de la sécu", Julien Duval, Raisons d’agir 2006

Partie II - La faillite du système de retraite

Depuis la sortie de Mr Fillon sur la faillite de la France, et ce, un peu avant une crise mondiale nécessitant de trouver quelques dizaines de milliards d’euros – ce qui a été fait sans trop de douleurs ou de maux de tête – on comprend que la notion de faillite est toute relative.

Cependant, le Comité d’Orientation des Retraites met sur le devant de la scène le besoin de financement de notre système de retraite, système de solidarité assez unique en son genre, où les actifs payent pour le reste de la population.

On notera qu’il y a ici un débat de fond non formalisé ! Ceux qui pensent - plutôt la gauche de l’échiquier politique - qu’il s’agit d’un problème de société et que la réponse se trouve dans la solidarité "générale" notamment via l’impôt ; et ceux qui considèrent que c’est plutôt un problème d’assurance qui doit se régler intra-salariat. L’étape suivante est la reprise des régimes spéciaux : pourquoi les chemineaux devraient payer pour les plombiers, avec à la clef la négation de la solidarité trans-générationnelle et donc la retraite par capitalisation ! Re-choix de société !

Trois scenarii sont alors envisagés par le COR, du plus pessimiste au moins pessimiste, mais tous indiquant un déficit colossal qu’on nous explique devoir combler.

Et bien entendu, on nous explique gentiment qu’il existe grossièrement seulement 4 leviers à activer :

L’augmentation des taux de cotisations sociales.

Soit la diminution des pensions de retraite

Soit l’allongement de la durée de cotisations

Soit le recul de l’âge légal de la retraite

Il est déjà amusant de voir que lorsque l’on présente le premier levier, il est souvent accompagné d’un commentaire du type, « cela équivaudrait à une baisse des salaires  », mensonge éhonté et souvent involontairement repris, puisqu’il existe bien deux types de cotisations sociales : celles qui pèsent sur les salariés … et celles qui pèsent sur les entreprises ! Mêmes si l’une comme l’autre pèse sur la compétitivité (cf. ce qui se passe sur le marché automobile US où le poids des retraites est devenu insupportable), on ne peut occulter le partage de plus en plus inéquitable de ce financement.

Concernant la durée de cotisation, on entend aussi souvent qu’il faut être équitable (en pointant sournoisement les retraites dorées dont bénéficieraient certains fonctionnaires). Le premier point gênant dans cette assertion est bien entendu la confusion manifeste que font les gens entre équité … et égalité !

Si nous en revenons à la définition, l’égalité est le principe de traitement identique, alors que l’équité prend en compte des notions de mérite, ou pour prendre un exemple plus contextuel de pénibilité, et de capacité à réaliser un certain type d’activité pendant une période donnée.

Ainsi, sous couvert d’équité, on voudrait faire croire qu’un pompier professionnel devrait cotiser autant qu’un agent administratif ! Joli renversement sémantique…

Enfin, le recul de l’âge de la retraite est bien le pire des leviers à activer dans notre système actuel, compte-tenu de la difficulté de trouver, voire de conserver, un emploi pour les plus de 55 ans. Une telle mesure reviendrait simplement à refuser de payer des pensions à la frange de la population que ça ne manquera pas de mettre (ou de maintenir) au chômage. Il passe aussi sous silence l’hypocrisie qui consiste à demander de travailler plus longtemps à des seniors que l’on n’hésite pas par ailleurs à mettre à la porte, parce que trop chers et pas assez productifs… Cherchez l’erreur ! Lorsque les gens ont la possibilité de partir en retraite, c’est avec frénésie qu’ils s’y ruent … si le « bonheur par le travail » qu’on nous vend était source de bonheur, je pense qu’ils seraient plus nombreux à essayer de le conserver, et surtout cela se saurait.

Mais ce n’est pas le plus choquant dans cette présentation du problème. Ce qui est choquant c’est que l’on balaye en faisant cela toutes les hypothèses macro-économiques qui ont permis de calculer ces projections. Hors ces hypothèses sont bien le résultat d’une politique économique et sociale, et donc d’un choix de société.

De plus, pour appuyer la « nécessaire » réforme de notre système de retraites, on pointe aussi notre indépendance d’esprit, et il est assez fréquent alors que soit évoqué les solutions prises par nos voisins.

Essayons de passer cet argument à l’épreuve des faits et des chiffres.

Tout d’abord, notre système de répartition est unique, et il faudra donc être très convaincant pour nous expliquer en quoi les solutions de nos voisins s’appliquent à notre modèle.

Ensuite, on constate que l’évolution du déficit de notre système de retraite est liée principalement à deux évènements : la modification de l’espérance de vie, et l’arrivée massive à l’âge de la retraite des populations nées après la fin de la 2nde guerre mondiale. Ces deux points sont communs à l’ensemble des pays Européens.

A noter d’ailleurs que l’évolution du %age de population âgée de 65 ans ou plus dans la population française dans les 40 prochaines années fait se situer la France sous la moyenne Européenne (48%) avec ses 45%, et loin derrière l’Italie et l’Espagne, qui vont voir cette proportion passer la barre des 60%, notamment du fait de la natalité (source, Insee, rapport 2004 : http://www.insee.fr/fr/ffc/docs_ffc/hcFPS03d3.pdf ), l’espérance de vie française se situant, elle tout à fait dans la moyenne européenne (75 ans pour les hommes actuellement, avec une projection à 80 ans en 2050), ceci avec toutes les précautions nécessaires à prendre sur de telles projections à 40 ans bien sûr.

Finalement, l’évolution « prévue » des charges de financement de la retraite en France est de l’ordre de 5% de PIB dans le pire des scenarii à l’horizon 2050 dans ce même rapport de l’Insee.

Donc, si l’on résume rapidement, sur une projection pessimiste (pire des scenarii retenu), on parle d’une évolution à 2050 de 5% de PIB. Ok. Sans faire évoluer grossièrement les paramètres macro-économiques dont on va parler par la suite, c’est-à-dire sur des hypothèses assez tendancielles et lissées. Re-ok.

A comparer sans doute à la part des salaires dans le PIB qui a diminué de au 9,3% en 20 ans (source : http://www.monde-diplomatique.fr/20...) …

Tout cela est bien un double problème à la fois de calcul de la valeur ajoutée de notre pays à une date fixée (et on connaît notre capacité à prévoir le PIB de l’année suivante …), mais aussi de partage du gâteau (pas tout à fait le même gâteau dont parlait Sarko mais presque).

Mais alors pourquoi – alors que les politiques sont les premiers à mettre les problèmes futurs sous le tapis, drivés qu’ils sont par les échéances électorales – pourquoi est-ce urgent de réformer ce système ?

Je vous accorde que l’agenda des réformes n’est pas des plus clair, la Burqua me vient à l’esprit tout à coup, mais tout de même.

Ce problème ne relèverait-il pas d’une double hypocrisie ? Nous faire croire de la nécessité d’une réforme, pour continuer un partage inéquitable du gâteau (choix de société s’il en est), le monde de la finance étant toujours plus gourmand et refusant de céder la moindre miette, même en période crise … qu’elle a elle-même provoquée !

Comment ne pas y voir non plus une faillite du système Européen ? Alors que la construction de l’Europe était censée être une réponse aux problèmes de la mondialisation, voilà qu’elle en devient le bras armé, en procurant un benchmark bien pratique : en Grèce, on diminue les retraites, en Allemagne on recule l’âge, et nous et nous et nous ? Faisons tout ça ! Pacte de stabilité oblige …

Revenons un instant à deux données qui servent de base à tous ces calculs. Tout d’abord, la natalité. Formidable chance dans certains scenarii (c’est grâce à notre taux fabuleux que nous ne sombrons pas complètement dans les projections de l’Insee), mais aussi formidable danger si l’on considère les menaces environnementales qui pèsent sur notre futur. Amusant d’ailleurs de voir que l’on parle de projection à 2050 de la part du COR, alors même qu’un certain nombre d’hommes politiques s’accordent à dire qu’il nous reste 10 ans pour sauver la planète !

N’est-ce pas aussi un formidable enjeu de société ? Confronté récemment par cette crise des subprimes - qui est loin d’être derrière nous - à la limite de notre éco-système, nous continuons à nous projeter “positivement” sur 40 ans, avec des hypothèses qui si elles étaient appliquées par tous les pays nous conduiraient droit au chaos… Bel exemple de schizophrénie politique.

La deuxième donnée intéressante est bien entendu le flux migratoire. Notre problème dans ces projections est finalement plus le vieillissement de la population que le taux de natalité.

Dans ce contexte, comment ne pas considérer le flux migratoire comme une chance unique de renverser la tendance !

Evitons d’ailleurs le débat stérile sur l’immigration choisie ou pas. En effet, que l’immigration soit officiellement de “travail” ou dans le cadre du “regroupement familial”, elle vient gonfler le camp des actifs (ainsi, 88% des travailleurs immigrés sont issus du regroupement familial en 2009, malgré la mise en place de l’immigration choisie, chère à notre président).

Même si les politiques d’immigration ont peu d’impact sur le flux, qui est finalement plus dépendante de l’état dans lequel se trouve le pays qui reçoit (ainsi, on constate une diminution du flux migratoire vers les pays occidentaux depuis la crise), la question implicite est bien celle d’un choix de société.


On voit donc bien à travers ces deux exemples de la sécurité sociale et du problème des retraites, que la présentation partielle de la problématique, cache souvent une présentation partiale de la réalité économique et sociale de notre pays. Ce n’est qu’en réinvestissant le débat (dans les réunions politiques locales, sur les forums, etc.) que l’on reposera les vraies questions de société qui se cachent derrière, et que l’on réussira peut-être à influer sur le choix de société, et à stopper l’ordre que l’on essaye de nous imposer.

Source :Agoravox

 

Publié dans Economie

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