Une décennie de quinquennat (2) : vers une dérive présidentialiste ?

Publié le par le desobeissant

Il y a dix ans, le 24 septembre 2000, sept millions et demi de Français, soit seulement 18,5% des électeurs inscrits, ratifiaient l’un des changements les plus radicaux de la Ve République. Deuxième partie.

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  Une décennie de quinquennat (1) : genèse d’un nouveau régime ?

 

Ordre du calendrier électoral

Comme je l’expliquais précédemment, pour garder la même nature des institutions de la Ve République, en cas de concordance des élections présidentielle et législatives, il était préférable d’organiser l’élection présidentielle en premier, comme cela a été décidé par l’adoption de la loi organique n° 2001-419 du 15 mai 2001.

La raison est assez simple : c’est la première élection qui influe sur la suivante. En choisissant d’élire d’abord le Président de la République, on considère que le Président de la République est la clef de voûte des institutions. C’est exactement la philosophie gaullienne qui a prévalu depuis 1959 à l’exception des trois périodes de la cohabitation.

Dans le cas contraire, élections législatives organisées avant l’élection présidentielle, on lierait le futur Président de la République à une majorité parlementaire qui ne serait pas forcément de la même couleur politique que lui. Soit le programme présidentiel ne pourrait alors pas être appliqué en cas de nouvelle cohabitation, soit le nouveau Président devrait dissoudre et organiser à nouveau des élections législatives si la majorité parlementaire ne lui convenait pas, ce qui rendrait les premières élections législatives inutiles. En cas de cohabitation choisie, dans ce cas-là, le risque serait que le Président de la République ne serve plus à rien sinon qu’à une fonction de représentation comme sous la IIIe et la IVeRépublique, et alors, pourquoi mobiliser plus de quarante-trois millions d’électeurs pour élire un Président passif ?

Évidemment, les tenants d’un régime parlementaire regrettent cet ordre électoral, et ils ont raison. Dans la logique d’un Parlement qui a réellement l’initiative des lois et d’un gouvernement qui a seulement le rôle de les appliquer, les élections législatives devraient être prédominante, d’autant plus que l’élection du Président de la République au suffrage universel direct depuis 1962 a focalisé le débat politique sur des questions de personnes pas forcément intéressantes pour l’intérêt général. Daniel Cohn-Bendit a eu d’ailleurs cette expression assez juste : « Il y a cette particularité française : l’élection présidentielle rend la classe politique folle. ». Une candidature d’Eva Joly à l’élection présidentielle partirait de cette même logique qui n’est pas celle des institutions actuelles.

Finalement, un Président de la République clef de voûte qui est à l’origine de l’action gouvernementale, ce n’est pas très nouveau et depuis De Gaulle, et plus particulièrement depuis Pompidou, tous les Présidents l’ont été. C’était d’ailleurs la raison du choix de Jacques Chirac pour le "quinquennat sec". L’idée selon laquelle la durée du mandat présidentiel ne bouleverserait pas la nature des institutions.

Concomitance des deux scrutins nationaux

Le problème, c’est que le quinquennat a été appliqué avec la concomitance du mandat des députés. Et ce n’est pas vraiment blâmable car même si le calendrier en avait été autrement, le Président nouvellement élu aurait toujours la tentation de dissoudre (en ce sens, François Mitterrand a mieux compris la logique institutionnelle que Valéry Giscard d’Estaing et Jacques Chirac qui ont, tous les deux, refusé de dissoudre lors de leur élection).

Et ce problème n’est pas un problème de durée qui serait rationalisée (en ce sens, cela modernise le calendrier électoral). Le problème est que depuis trente ans au moins, pour gagner une élection présidentielle, il faut contrôler un des grands partis à vocation majoritaire. Et en France, il n’y en a que deux, l’UMP et le PS.

L’UMP est, à mon sens, ce qui a "réduit" le jeu des institutions. En rassemblant sous un unique parti les membres de sa majorité présidentielle, Jacques Chirac a réduit le pluralisme politique au sein du gouvernement. Avant, avec deux partis de taille critique (UDF et RPR), les rapports de force étaient à issue plus aléatoire et moins systématique. La présence de très petits partis au sein de l’actuelle majorité présidentielle n’empêche pas cette monopolisation du débat majoritaire.

Curieuse évolution des choses : alors que le quinquennat et l’UMP sont les enfants de Jacques Chirac, c’est essentiellement Nicolas Sarkozy qui en a fait ce qu’ils sont : pour le quinquennat, l’officialisation décomplexée d’un régime plus présidentiel que parlementaire, et pour l’UMP, une usine au service du Président.

Mais le jeu des institutions ne dépend pas de la couleur politique des majorités. Si le PS venait à gagner des élections, nul doute qu’il fonctionnerait comme l’UMP : à savoir, un parti majeur qui monopoliserait la majorité. Certes, Europe Écologie pourrait changer un peu la donne mais à condition qu’il y ait un véritable candidat issu de l’écologie politique (et je ne vois que Cécile Duflot et éventuellement Yves Cochet).

Ce qui compte, évidemment, ce sont les investitures aux élections législatives, et celles-ci sont accordées juste après l’élection présidentielle, ce qui rend l’influence du Président de la République prépondérante tant sur le parti présidentiel que sur les candidats et éventuels élus de l’Assemblée Nationale.

Sources gaulliennes

Dans son livre "La querelle de la fidélité" (1971), l’ancien garde des sceaux Edmond Michelet, l’un des plus fidèles du Général De Gaulle, expliquait clairement : « Tout ce qui a pour objet de lier l’élection du chef de l’État à quelque chose qui ressemblerait à l’élection d’un chef de parti, à jumeler l’élection du chef de l’État avec celle d’une éventuelle majorité, est aberrant. ».

La concomitance des deux scrutins nationaux a par nécessité la conséquence de rendre le gouvernement et la majorité parlementaire directement dépendants du Président de la République. L’utilité même de la fonction de Premier Ministre a même été remise en cause. Si Dominique de Villepin a joui d’un relatif effacement de Jacques Chirac depuis l’échec du référendum du 29 mai 2005 (notamment en raison d’un ennui de santé), François Fillon doit accompagner la personnalité très active de Nicolas Sarkozy.

Un petit retour en arrière est intéressant pour prendre à la source l’essence des institutions actuelles. Dans son livre "C’était De Gaulle, tome 1", Alain Peyrefitte a retranscrit la pensée gaullienne à ce sujet : « Je l’exclus totalement ! Dans l’esprit de ceux qui le proposent, cette coïncidence des mandats ne pourrait avoir lieu qu’à la condition qu’il n’y ait plus de censure ni de dissolution. Ou alors, si l’on voulait que les mandats ne coïncident pas seulement la première fois, il faudrait, soit que la dissolution entraîne le départ du Président, soit que la censure entraîne non seulement le départ du gouvernement, mais celui du Président de la République ; ou encore, qu’il n’y ait plus ni censure ni dissolution. ».

Un discours "privé" qui reprenait largement la conférence de presse publique du 31 janvier 1964 : « Parce que la France est ce qu’elle est, il ne faut pas que le Président soit élu simultanément avec les députés, ce qui mêlerait sa désignation à la lutte directe des partis, altérerait le caractère (…) de sa fonction de chef de l’État. ».

Dans son message au Parlement du 3 avril 1973, le Président Georges Pompidou perpétuait, lui aussi, cet esprit des institutions : « Hostile à la coïncidence des élections législatives et présidentielles que le droit de dissolution rend d’ailleurs illusoire, je n’en crois pas moins depuis longtemps que le septennat n’est pas adapté à nos institutions nouvelles, et ma propre expérience m’a confirmé cette idée. ».

Le Président François Mitterrand lui-même déclarait de même, le 2 décembre 1992 : « N’oublions pas que le Président de la République a, en raison de l’article 5, un pouvoir d’arbitrage et qu’il n’est pas lié au changement de majorité parlementaire. ».

Bipolarisation

Une autre conséquence négative de la concomitance des élections présidentielle et législatives, c’est le renforcement de la structure bipolaire des formations politiques. À partir du moment où le "parti du Président" (UMP ou PS) jouit de l’effet d’aubaine pour les candidats parlementaires, les candidats doivent se déterminer pour ou contre ce parti sans pouvoir initier un autre clivage (rassemblement des souverainistes ou au contraire, rassemblement des partisans de la construction européenne etc.).

Certes, la Ve République a déjà largement provoqué cet état de fait, ainsi que l’union de la gauche initiée par François Mitterrand (avec sa "discipline républicaine") et l’UMP créée par Jacques Chirac. Le quinquennat ne fait que pérenniser cette tendance. Par exemple, en 1978, la bipolarisation n’existait pas : dans la majorité, l’UDF concurrençait le RPR (qui était un opposant interne épuisant) et dans l’opposition, la rupture de l’union de la gauche rendait le PCF beaucoup plus indépendant du PS qu’auparavant (ou que plus tard).

En 2007, François Bayrou et Jean-Marie Le Pen aurait pu casser la bipolarité, mais le faible score de Jean-Marie Le Pen et l’incapacité de François Bayrou à gérer le second tour de l’élection présidentielle ont usé leur propre ressort de "troisième voie". En 2012, tout porte à croire qu’ Europe Écologie ne serait qu’un allié classique du PS, reprenant le rôle des radicaux de gauche ou des communistes dans la défunte union de la gauche, et ne représenterait pas l’espoir d’une force indépendante majeure.

Argument du rythme social accéléré

L’argument principal du quinquennat, c’est que le rythme social est rapide et que sept ans, c’est beaucoup trop long. À cela, on pourrait dire oui et non.

Oui, sept ans, c’est immensément long quand on voit la faculté d’anticiper la conjoncture économique et financière. Il y a souvent moins d’une année de visibilité. Alors sept ans…

Pas forcément trop long s’il était possible, en cours de septennat, de relégitimiser le pouvoir présidentiel non pas par des élections "intermédiaires" (laissons les élections locales au local avec des enjeux locaux) mais par d’autres scrutins, les deux seuls nationaux possibles et utilisés par De Gaulle (entre autres) pour relégitimiser sa propre assise dans l’opinion publique : des élections législatives intermédiaires (à condition qu’il n’y ait pas concordance ou que la durée du mandat présidentiel soit différente de celui d’un député), et le référendum sur des sujets qui mériteraient l’adhésion directe du peuple.

Le référendum est sans doute le meilleur moyen de responsabiliser les électeurs, à condition que les questions soient évidemment bien posées. Le risque est qu’après l’échec du 29 mai 2005, les successeurs de Jacques Chirac n’osent plus organiser aucun référendum et les référendums d’initiative populaire rendus possibles par la réforme des institutions de juillet 2008 demandent tellement de contrainte qu’il est fort peu probable que certains en voient le jour avant longtemps.

Cela dit, les Présidents François Mitterrand et Jacques Chirac n’ont pas tiré les leçons de leurs échecs aux élections législatives de mars 1986, mars 1993 et juin 1997 et au référendum de mai 2005. Dans sa déclaration du 5 juin 2000, le Président Jacques Chirac refusait même tout rôle de relégitimisation du référendum : « Je souhaite que le référendum ne soit pas un plébiscite ou un acte politique. Si les Français disaient non, ce ne serait une censure ni pour le Président de la République, ni pour le gouvernement. ».

Valéry Giscard d’Estaing était, quant à lui, prêt également à se maintenir en cas d’échec aux élections législatives de mars 1978 : « Vous pouvez choisir l’application du programme commun. C’est votre droit. Mais si vous le choisissez, il sera appliqué. Ne croyez pas que le Président de la République ait, dans la Constitution, les moyens de s’y opposer. J’aurais manqué à mon devoir si je ne vous avais pas mis en garde. » (discours de Verdun-sur-le-Doubs du 27 janviers 1978 sur le "bon choix").

D’ailleurs, l’argument de vouloir regénérer plus souvent l’adhésion populaire avec le quinquennat est un mauvais calcul : en effet, dans un cadre de septennat, si l’intervalle entre deux scrutins nationaux est au maximum cinq ans, il a été souvent entre deux et cinq ans, puisque des élections législatives doivent se dérouler en cours de mandat présidentiel. C’est donc généralement plus fréquent que le quinquennat avec concordance de deux scrutins nationaux.

Sans prendre en compte les deux cas de mandat écourté (De Gaulle et Pompidou) qui réduirait encore la moyenne, entre 1958 et 2002, la moyenne entre deux scrutins nationaux successifs (référendums exclus) est d’environ trois ans et un trimestre à comparer avec l’inflexible durée de cinq ans qui prévaut depuis 2002. En ce sens, les électeurs apportent moins souvent leur choix avec un quinquennat.

Sylvain Rakotoarison

 

Source :http://www.rakotoarison.eu

 

 

Publié dans France

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